Sur le terrain
Partie 2

Dans le quotidien de la Fondation Jeunesse & Familles, chaque rencontre est une réalité complexe. Une famille, un enfant, un lien, une histoire et souvent une fracture. C’est dans ces interstices fragiles que nos équipes œuvrent avec patience, écoute et humanité.

Maintenir le lien

Dans le cadre d’une séparation parentale très conflictuelle, un enfant de 4 ans a été orienté vers notre prestation Point Rencontre, sur mandat du tribunal d’arrondissement. L’objectif était clair mais difficile : maintenir un lien entre l’enfant et son père, malgré un lourd passé de violences conjugales.

La mère, profondément marquée par le traumatisme de cette relation, redoutait chaque rencontre. Même à distance, le simple fait de croiser le père dans les couloirs du centre la submergeait. Sa peur était palpable, sa détresse immense. Et l’enfant, dans cette tension émotionnelle, absorbait tout. Les séparations étaient des déchirures. Il pleurait, s’accrochait à sa mère, refusait d’entrer.

Pourtant, à chaque visite, une fois la porte franchie, les éducatrices et les éducateurs constataient une chose étonnante : l’enfant se calmait. Il jouait, il riait, il vivait, pendant deux heures, une relation relativement apaisée avec son père.

Mais cela, sa mère ne pouvait pas le voir. Elle restait figée dans l’angoisse de ce qu’elle imaginait se produire en son absence. Lorsque les visites ont été élargies à l’extérieur, elle n’a plus été en mesure de l’accompagner. Le poids de l’invisible était trop fort.

La situation est devenue critique : les visites sont devenues irrégulières, fragiles. L’équipe de Point Rencontre a dû alerter le tribunal, par écrit, pour partager son analyse : non pas pour blâmer, mais bien pour éclairer et accompagner de la meilleure façon. 

En parallèle, un pédopsychiatre, saisi par la mère, a demandé une suspension des visites. Pourtant, le médecin n’avait pas rencontré l’enfant – un enfant qui parlait peu le français, et dont le récit passait par le corps plus que par les mots.

Dans une démarche rare, la présidente du tribunal a transmis le courrier de Point Rencontre au pédopsychiatre. Cette transparence a produit un effet notable : le professionnel a reconnu le sérieux du travail de terrain et a revu sa position. Il a salué la pertinence des adaptations proposées : arrivée décalée des parents, soutien téléphonique pour la mère, dispositif adapté à l’âge de l’enfant.

Aujourd’hui, les visites ont lieu à l’extérieur. Un accompagnement thérapeutique a été mis en place pour tous : l’enfant, le père, la mère. Et chaque samedi, la mère dépose son fils, avec confiance. Ce n’est pas une victoire, c’est une avancée. Une stabilisation, un pas vers un équilibre.

Les dispositifs au service des liens

Ce récit est l’illustration d’un enjeu fondamental : comment, dans des contextes de rupture et de souffrance, soutenir le maintien du lien parental lorsque celui-ci est souhaité par la justice, mais redouté par l’un des parents ?

La prestation Point Rencontre permet justement de répondre à cette équation complexe. Il ne s’agit pas d’un simple lieu de visite, mais d’un espace de médiation, de régulation, d’observation et surtout d’écoute. 

À Point Rencontre, ce ne sont pas seulement des enfants et des parents qui franchissent la porte. Ce sont aussi des professionnel·les qui les accueillent, les observent avec bienveillance, les soutiennent, et parfois, les contiennent. Travailler ici, ce n’est pas seulement « encadrer une visite » : c’est participer à un processus de réparation, d’ajustement et de reconstruction du lien parental. C’est croire que malgré la douleur et les conflits, un chemin reste possible. Et surtout, c’est croire en l’enfant.

Témoignage de Valérie Béati, intervenante au Point Rencontre Est.

« Ma motivation principale ? Elle est simple, mais elle m’habite profondément : contribuer au mieux-être des enfants. Je suis convaincue qu’ils ont besoin d’un lien avec leurs deux parents pour se construire, même lorsque l’un d’eux est en souffrance, malade ou en difficulté. Mon rôle, c’est de sécuriser ce lien, de le rendre possible, même s’il est différent de ce que l’enfant aurait pu imaginer comme « lien parental idéal ». »

Au quotidien, Valérie et l’équipe du Point Rencontre Est accompagnent les familles dans des contextes d’une grande complexité émotionnelle. Elle observe, elle soutient, elle tempère, elle régule. Et surtout, elle remet l’enfant au centre, systématiquement. 

« L’humour est mon premier outil. C’est souvent par-là que passe la confiance. Ensuite, je rappelle à chacune et chacun pourquoi nous sommes là : pour l’enfant. En mettant l’enfant au centre, on modélise une posture pour les parents. Même dans le conflit, tous veulent le bien de leur enfant. Encore faut-il réussir à nommer ce qu’ils mettent derrière ces mots : « le bien ». Et à partir de là, on construit un pont. »

Parmi les situations que nous avons accompagnées, l’une en particulier a marqué et mobilisé l’équipe du Point Rencontre Nord. Un père retrouvait son fils après une longue période de silence. Dès les premières rencontres, l’équipe a perçu chez lui une posture victimaire : il faisait inconsciemment porter le poids de sa souffrance à son enfant. 

La situation était délicate, comme souvent au Point Rencontre Nord. Ensemble, les intervenant·e·s ont su poser un cadre clair et, progressivement, repositionner chacun·e à sa juste place. Il a fallu recentrer la relation sur l’essentiel : l’enfant. L’équipe a mis en place des temps d’accompagnement afin que le papa puisse exprimer ses émotions, dans le respect de son vécu, mais en dehors de la relation avec l’enfant.

Petit à petit, les visites se sont apaisées. L’enfant a retrouvé un lien sécurisant avec son père, éloigné du conflit parental, et le père a su évoluer vers un rôle plus équilibré et bienveillant.

Un tel travail ne peut se faire seul·e. Il demande un engagement collectif et une vigilance partagée. Comme des figures parentales qui se relaient, l’équipe du Point Rencontre Nord se soutient et s’interroge mutuellement. Ensemble, ils portent la complexité des situations qui leur sont confiées, avec lucidité et toujours avec humilité.

Ce récit est un exemple parmi d’autres. Il incarne ce que vivent au quotidien les collaboratrices et collaborateurs de la Fondation : une implication forte pour la protection de l’enfance, une exigence professionnelle constante, et surtout, une attention particulière à l’individualité de chacun·e.

Parmi les collaborateur·trice·s qui œuvrent pour rendre les rencontres possibles, il y a également une responsable d’unité au Point Rencontre Nord :

« En cas de conflit post-séparation entre les parents, je sais combien les conséquences à long terme peuvent être graves pour les enfants. Ici, on agit à la source dans l’intérêt de l’enfant : là où le conflit se cristallise, là où les postures se figent, là où le lien risque de se rompre. »

Lorsqu’elle reçoit un parent pour la première fois, elle sait que ce temps est déterminant. Il est important de créer un lien immédiat mais solide, pour permettre ensuite à l’équipe de travailler efficacement.

« Être sous le regard, c’est complexe. Certains parents n’ont pas toujours conscience que leur posture avec leur enfant peut être problématique. Lors des visites, nous devons parfois leur faire des retours difficiles à entendre. C’est pourquoi ce premier lien est crucial. Un accueil chaleureux, une écoute active, une vraie attention… Cela permet aux parents de se sentir entendus. Cela facilite la remise en question et ouvre une porte vers une possible évolution. »

« Le droit de visite, c’est une obligation légale, mais il est vécu par certains comme une contrainte insupportable. Mon rôle est d’aider les parents à comprendre que ce cadre strict peut devenir une ressource : il permet de sécuriser l’enfant, d’encadrer la relation, et surtout, de réduire les effets nocifs du conflit parental. »

Travailler à ce niveau, c’est agir pour la protection de l’enfant au cœur du conflit parental, à la jonction du juridique et de l’intime.